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Les prénoms : révélateurs du statut et de la personnalité des parents ?

07h32 - 06 janvier 2025 - par Info Clermont Métropole
Les prénoms : révélateurs du statut et de la personnalité des parents ?
Les prénoms nous disent aussi l'origine sociale des parents. - © DR

678 000 enfants sont nés en 2023. Chaque parent doit faire preuve d'imagination car prénommer un enfant, c'est lui donner une existence et ainsi l'inscrire dans une lignée familiale en lui conférant une originalité propre.

Quand nous entendons nommer un prénom d'enfant par une personne de notre entourage que cela soit un ami, un enseignant, nous nous faisons souvent déjà une idée de l'enfant et de ses géniteurs qui ont donné ce prénom.

Rares sont les prénoms qui nous laissent indifférents et il arrive très souvent que la nomination entraîne une idée préconçue sur l'enfant ou/et sur les parents.

Qui n'a entendu dire que les "Louis" étaient intelligents, que les "Marie" étaient issues d'une famille catholique ou que Nathan affirmait ainsi la judéité de son milieu ou encore que Sofiane signait ses origines arabo-musulmanes ? Mais il en est de même pour Sinh, Phong, Sakura ou Paquito ! Il est vrai que ces derniers prénoms - outre l'indication des origines - ont des significations particulières et font également référence au désir d'avoir un enfant avec tel ou tel caractère.

France multiple

Comme en France, par exemple avec Sophie dont les parents font le pari de la sagesse pour elle ou encore Clémence, Constance ou Félix... dont on voit bien les souhaits de leurs géniteurs ! Quand d'autres parents sont joueurs : Victor et Hugo ou bien Côme et Pacôme pour des jumeaux ! Enfin, il existe les parents qui font face à toute éventualité en choisissant un prénom asexué ou épicène tels Claude ou Dominique comme le rappelle Amélie Nothomb...

La variété de ces prénoms vient valider les écrits de Jérôme Fourquet, sociologue et auteur de "L'archipel Français" qui nous dit combien la France est aujourd'hui divisée et multiple. Il appelle ce constat une "archipélisation" du pays avec les habitants de la ville, ceux des campagnes, celle des élites, l'ethnie des personnes, les travailleurs pauvres, ceux des banlieues...

L'auteur nous informe qu'il y avait en 1960 environ 2 000 prénoms contre plus de 13 000 aujourd'hui ! Du plus traditionnel : Louise et Gabriel en tête en 2022 jusqu'aux plus originaux ou plus discutables : Baldoph (1) ou Nutella ou Périphérique... Je me demande si les parents ont pensé à leurs enfants qui vont les porter et comment ces derniers vont réagir en grandissant. Un certain nombre d'entre eux, souvent à l'adolescence, en changent pour pouvoir continuer à vivre sans être victimes de quolibets lesquels occasionnent des difficultés relationnelles chez ceux qui les portent.

Cette inflation des prénoms montre, selon J. Fourquet, combien l'histoire et la généalogie familiale sont entamées ou suspendues.

En effet, auparavant, les parents donnaient à l'enfant des prénoms issus de l'histoire de France : Louis, Philippe, Charles, ... ou bien de l'histoire de la famille dont les prénoms se transmettaient en pensant au grand-père ou au grand-oncle pour les garçons et à la cousine ou la grand-mère pour les filles ainsi en a-t-il été pour des générations de Christine et de Chantal. Pour les Marie, les Bernadette ou les Pierre, nous étions plutôt dans une niche religieuse.

Mais la multiplication des prénoms traduit aussi une individualisation des personnes qui rompt avec la filiation où l'histoire familiale devient plus ou moins inconnue par les nouvelles générations. Ces nouveaux prénoms fruits de la vogue des feuilletons télévisés ou du désir d'originalité des parents viennent assigner un destin ou une place à l'enfant-né : "tu seras semblable à lui ou à elle" avec ses yeux, sa beauté ou son intelligence ! Pensons aux "Marlène", "Brandon" ou encore "Johnny"...

Ainsi, ces enfants deviennent porteurs d'un double héritage psychologique, celui de leurs parents, passionnés de séries américaines ou autres et celui de la personne à qui ils sont assignés. Mais il ne s'agit pas de penser qu'il n'en est pas de même pour les enfants qui portent un prénom plus commun tel "René", enfant de remplacement d'un parent ou frère mort avec les conséquences qui en découlent. Quelquefois, au contraire, c'est un signe que la vie revient avec un enfant réparateur, source de joie... Un enfant à qui les parents attribuent le prénom d'un grand-père affectionné attendent du prénommé les mêmes comportements que l'être aimé. La machine se grippe quand on découvre plus tard "des cadavres dans les placards" comme le dit Anne Ancelin Schützenberger, autrice de "Aie, mes aïeux !" où le grand-père tant vénéré était en réalité un homme peu recommandable au regard de la loi. Des enfants deviennent alors des hommes ou des femmes aux comportements imprévisibles car ils sont les victimes de loyautés invisibles mettant alors en évidence des liens transgénérationnels.

Les prénoms nous disent aussi l'origine sociale des parents, ainsi Geoffroy, Achille ou Gontran signent une appartenance voulue emblématique au même titre que le statut socio-culturel des parents.

Le choix d'un prénom n'est jamais innocent. Le prénom est donc un marqueur culturel très fort pour souligner les origines régionales, religieuses, socio-culturelles ou encore des origines familiales ou des styles de vie...

(1) Tous les prénoms de l'article ont été rencontrés lors de sa pratique professionnelle.

Marc Ferrero, Psychologue clinicien. Co-auteur de "L'enfant et ses complexes" aux Editions Mardaga. marcferrero@wanadoo.fr

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