Pourquoi c’est un site exceptionnel
[caption id="attachment_223179" align="aligncenter" width="800"] Le site illustre de manière exceptionnelle le processus complet de rupture d’un continent. © Denis Pourcher[/caption] La chaîne des puys / faille de Limagne pourrait être le premier site naturel de France hexagonale inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Mais au fond, pourquoi ? Voici quelques explications… géologiques. Nous sommes tellement habitués à la voir se dessiner sous nos yeux, qu’elle en deviendrait presque banale. Pourtant, la chaîne des puys/faille de Limagne ne l’est pas. Deux décisions illustrent son caractère exceptionnel. La première, c’est que l’Etat français l’a sélectionnée pour se présenter devant le comité du patrimoine mondial. Si le bien avait été quelconque, il ne s’en serait sans doute pas donné la peine... Surtout à trois reprises ! Autre signe que ce chapelet de volcans et ses environs sont uniques en leur genre : l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une ONG mandatée par l’Unesco pour donner son avis sur les candidatures « naturelles », a donné un avis « favorable » à l’inscription. Pourtant, ses exigences sont énormes, notamment en termes de gestion et de protection. D’ailleurs, en 2014 et 2016, dates des premiers examens, l’association avait balayé le dossier d’un revers de manche…
« Un haut lieu tectonique »
Pour que la candidature soit réexaminée, le dossier a dû être modifié. Il a par exemple été amputé du critère esthétique. Du coup, le Conseil départemental du Puy-de-Dôme, à l’origine du projet, et ses différents partenaires, se sont concentrés sur le seul critère géologique, en ajustant la terminologie employée et en resserrant leur argumentaire à l’aune de ce strict aspect scientifique. Si inscription il y a, ce sera donc celle du « haut lieu tectonique ». De ce point de vue, et uniquement de celui-ci, la chaîne des puys / faille de Limagne est effectivement un site exceptionnel. C’est bien simple : aucun autre lieu sur Terre ne permet de voir aussi formellement le déroulement complet de la rupture d’un continent, c’est-à-dire comment la croûte terrestre s’est fracturée puis effondrée, laissant remonter le magma et surélevant massivement sa surface. Toutes les étapes de ce phénomène terrestre majeur, aussi appelé rift, sont ici visibles d’un seul coup d’œil. Il y a tout d’abord la faille de Limagne. Long de 32 km, ce « mur végétal » marque la limite entre le bassin effondré (la plaine de Limagne, où se situe Clermont-Ferrand) et le socle ancien (le plateau des dômes, où reposent les volcans.) Cette « rupture » est survenue il y a 35 millions d’années en contre-coup de la formation des Alpes. Ses effets sur le paysage sont encore parfaitement visibles. Bien plus tard (entre 95.000 et 8.400 ans), ces mouvements ont provoqué des remontées magmatiques, à l’origine de la chaîne des puys et de ses quelque 80 édifices de formes variées (dômes, cônes, maars…) et parfaitement alignés. Chaque volcan a été formé à la suite d’une seule et unique éruption, qui a pu durer de quelques heures à plusieurs jours. Autre phénomène visible sur le site : l’inversion de relief de la montagne de la Serre. Cette ancienne coulée volcanique située à l’origine en fond de vallée est devenue un plateau surélevé sous l’effet de trois millions d’années d’érosion.Un site d’intérêt mondial
« Les formations géologiques du bien et leur configuration spécifique illustrent clairement [le] processus [de la rupture continentale] à l’échelle de la planète et ses effets à petite et grande échelle sur le paysage » observe l’UICN dans son dernier rapport. Pour l’ONG, « cette concentration a une importance mondiale démontrée par son caractère exhaustif. Sa densité et son expression ont contribué à la place proéminente du site, depuis le 18ème siècle, dans l’étude des processus géologiques classiques. » Si on vous demande pourquoi la chaîne des puys/faille de Limagne mérite d’être inscrite à l’Unesco, vous saurez désormais quoi répondre… La décision relative à l’inscription devrait intervenir le dimanche 1er ou le lundi 2 juillet lors du 42ème comité du patrimoine mondial à Manama au Bahreïn.Questions à Benjamin van Wyk de Vries Professeur de géologie au laboratoire Magmas et Volcans de Clermont-Ferrand. Quel a été votre rôle dans ce projet ? Je me suis occupé de l’aspect scientifique international. Je suis allé chercher dans le monde entier des scientifiques qui pouvaient donner des conseils pour le montage du projet et une caution sur ses fondations scientifiques. J’ai entamé ces démarches en 2009 en me rendant sur différents colloques de volcanologie ou de tectonique en Autriche, aux Etats-Unis, en Indonésie, au Chili… C’était une partie essentielle du projet. Les scientifiques ont-ils été difficiles à convaincre ? Non. J’ai été très agréablement surpris. En fait, ils connaissaient déjà le site. Ils étaient au courant de sa qualité exceptionnelle. Je pense que le plus dur était de remettre le projet dans le contexte des rifts globaux, de trouver ce que la chaîne des puys/faille de Limagne avait d’exceptionnel par rapport au rift est-africain ou l’Islande, par exemple. Cela n’avait jamais été fait ? On ne l’avait pas formalisé. Les premiers scientifiques qui sont venus ici au 19ème l’ont vu, mais par la suite, le site est un peu tombé dans l’oubli. Un géographe britannique avait publié deux papiers dans les années 60 sur la faille de Limagne et sur la montagne de la Serre. Plus récemment, nous avons eu un article dans la revue « Nature » en 2014… L’UICN a-t-elle compris le volet pédagogique du site ? Il y a toujours une petite confusion... Il faut savoir que le patrimoine mondial est quelque chose en pleine évolution. Le fait d’avoir des polémiques avec l’UICN n’est pas forcément négatif. Avec la communauté scientifique, nous avons franchi plusieurs barrières de compréhension sur plein de sujets. En ce sens, ce projet est assez révolutionnaire.
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