Jacques Barou « La migration paysanne a structuré la ville »
[caption id="attachment_223475" align="aligncenter" width="800"] Pour ce sociologue, les migrations qui touchent Clermont-Ferrand aujourd’hui sont plus diversifiées et moins concentrées que par le passé © E. Thérond[/caption] Il est le commissaire scientifique de l’exposition « Migrations, Clermontois venus d’ailleurs », qui se tient jusqu’au 5 janvier 2019 dans la salle Gilbert-Gaillard (2 rue Saint-Pierre) à Clermont-Ferrand*. Quelles migrations ont structuré la ville ? D’abord les migrations paysannes, qui sont venues des villages viticoles des environs, et qui ont été massives. Au départ, ces personnes se sont installées dans les vieux noyaux urbains de Clermont et Montferrand, comme le faubourg Saint-Alyre à Fontgiève. Leur habitat était précaire, insalubre. C’était le début de l’hygiène publique et de l’aventure Michelin. Pour loger ces personnes, de nombreux ensembles ont été construits, notamment la cité de la Plaine. Cette migration paysanne a vraiment structuré la ville. Par la suite, des migrations venues de l’étranger ont bénéficié aussi de cette offre de logement social, même si parallèlement des personnes ont séjourné dans de l’habitat dégradé, notamment au Mazet, qui fut longtemps un quartier d’immigrés maghrébins très pauvres. Il a fallu attendre sa rénovation pour que les « chibanis », comme on disait alors, puissent rester sur place dans de bonnes conditions. Qu’en est-il des Clermontois qui sont partis ailleurs ? Les Clermontois ne sont pas énormément partis. Les Auvergnats, si. Ils sont partis vers l’Espagne. Durant tout le Moyen-âge, ils suivaient les chemins du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Ils vivaient en offrant des services aux pèlerins. A partir du 15ème ou du 16ème siècle, cette migration vers l’Espagne s’est organisée. Elle concernait surtout des cantons du Cantal, à savoir Mauriac ou Aurillac. Ils étaient 5 à 6.000 à partir chaque année pour travailler dans différents secteurs, avant de passer très vite à des activités commerciales. Certains ont fait plutôt de bonnes affaires. Des entreprises auvergnates ont fonctionné en Espagne jusqu’au début du 20ème siècle, notamment dans le domaine de la minoterie près de Madrid. Au 19ème siècle, les Auvergnats sont surtout allés vers l’agglomération parisienne… Beaucoup de départs sont contraints… Il peut effectivement y avoir des migrations contraintes. On part pour fuir la pauvreté, parfois la violence… On n’est pas forcément heureux de partir. Tout dépend de ce qu’on arrive à en faire ensuite. Quand on est entouré par des personnes qui vous témoignent de la solidarité, cela peut-être une grande réussite. Une migration bien organisée, qui tombe dans des points de chute où se développent des actions de solidarité, devient une chance, même si elle n’est pas forcément souhaitée au départ. C’est aussi une chance et un apport culturel pour l’accueillant. Incontestablement. On le voit dans le cas des Portugais à Clermont-Ferrand. Ils ont fait revivre un certain nombre de villages et de fêtes populaires tombées en désuétude, comme la fête de la Saint-Jean. Ce sont des apports culturels qui enrichissent incontestablement le patrimoine culturel immatériel d’une ville. L’exposition « Migrations » parle beaucoup de l’humain… Dans une exposition, il doit y avoir du sensible. On montre ce qui peut toucher les visiteurs. Si vous transformez un rapport de recherche en exposition, cela risque d’être très ennuyeux (il sourit) ! Rien que les 17 portraits affichés dans l’entrée montrent toute la diversité de la population clermontoise. On peut croiser dans la rue des types asiatiques, africains, méditerranéens, est-européens... Certaines photos montrent également l’importance des échanges. L’exposition essaie de rendre compte de cette histoire à travers des images, des photos, des petits films ou des objets emblématiques. Pour beaucoup de familles immigrées, le cartable est par exemple quelque chose de symboliquement très important. Cette migration se poursuit-elle aujourd’hui ? Oui. Avant, les migrations étaient surtout ouvrières. Les personnes étaient socialement de situation modeste, d’origine paysanne, souvent illettrés. Elles partaient pour échapper à la pauvreté avec l’espoir de revenir, de s’acheter une ferme un peu plus grande, d’améliorer la situation de leur famille. Aujourd’hui, la migration est plus diversifiée, moins concentrée. Elle vient de zones de plus en plus différentes et elle met en mouvement des personnes de niveaux social et culturel très variés. Clermont-Ferrand est devenu un grand pôle d’attraction pour les étudiants, avec des Chinois, des Marocains, des Allemands, des Américains, etc. Des cadres de très haut niveau viennent également travailler dans des centres de recherche et de management de la ville. Les causes ne sont plus tout à fait les mêmes non plus : certains ne viennent pas uniquement pour fuir la pauvreté, mais pour fuir souvent des situations de violence, de désorganisation. Il y a donc beaucoup de demandeurs d’asile depuis la fin du 20ème siècle. *Entrée gratuite. Du mardi au vendredi de 10h à 18h, sauf jours fériés. Une cinquantaine d’évènements associés sont proposés (spectacles, conférences, projections…)
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