Jean-Louis Etienne « Il faut que chacun soit efficace sur sa zone d’influence »
[caption id="attachment_225633" align="aligncenter" width="783"] L’explorateur était à Clermont-Ferrand il y a quelques jours à l’invitation de l’association Infinisciences © E. Thérond[/caption] Médecin et explorateur, pionnier des expéditions polaires, ce grand scientifique ne cesse d’alerter sur les conséquences du réchauffement climatique. Pour lui, comme pour d’autres, chacun doit agir à son propre niveau… Maintenant. Au cours de toutes vos expéditions, avez-vous perçu les stigmates du réchauffement climatique ? Sans aller si loin, j’ai vu la Mer de Glace [en Haute-Savoie, NDLR]. Sa régression est incroyable. Le réchauffement climatique frappe énormément nos régions. Ce que j’ai vu sur les régions polaires, qui sont effectivement touchées, est beaucoup plus subtil, car il s’agit d’énormes masses. En 1986, quand je suis allé au pôle Nord pour la première fois, la banquise faisait entre 1,80 m et 2 m d’épaisseur. Aujourd’hui, elle fait 1,20 m. Début 2010, à la fin de l’hiver arctique, lors de ma traversée en ballon, j’ai également pu voir de grandes étendues d’eau libre, signe d’une température démesurément élevée. Au sud, dans l’Antarctique, les 600 premiers kilomètres de glace de notre traversée de 1989 et 1990 ont disparu. Bien sûr, de temps en temps, il y a des vêlages, c’est-à-dire une mise à l’eau d’icebergs géants issus de la calotte glacière. Mais globalement, ces régions sont touchées de manière très sournoise. Comment pouvez-vous entendre ceux qui nient le changement climatique ? Ils n’y connaissent rien. Vous avez dit « changement » climatique. Il faudrait dire « réchauffement », car c’est le réchauffement qui entraîne en changement. Nous avons perdu beaucoup de temps en faisant de ce problème une discussion populaire, en parlant du temps qu’il fait quand on va acheter son pain. Or, le réchauffement climatique ne se perçoit pas, car la température moyenne à la surface de la Terre s’est réchauffée d’un « petit » degré en un siècle. Le problème, c’est que cette variation est colossale à l’échelle planétaire. C’est bien cette énorme quantité de chaleur accumulée qui est responsable de la dérégulation climatique. Quand Donald Trump, un de nos climato-sceptiques célèbres, prenait à témoin la population en disant « voyez comme il fait froid à New-York » il oubliait de dire qu’au même moment, en Afrique du Sud ou en Australie, vous aviez des canicules, des sécheresses et des populations en détresse. Le climat est donc quelque chose de global, de planétaire. Ce n’est pas le fait d’une perception. Est-ce que vous vous dîtes que tout est perdu ? Il faut continuer à vivre. C’est tellement prodigieux ! L’Homme est un mutant surdoué, ayant inventé des choses dont l’impact le dépasse. Je fais toujours la comparaison avec les autres espèces animales. Elles naissent avec le « matériel » pour la vie : le bec, les griffes, les ongles, le dard, le venin. Elles ne changeront pas, elles n’ont aucune capacité d’adaptation. L’Homme, lui, a pris le contrôle des espaces et des espèces – sauf les virus et les bactéries - avec une force colossale. Certes, il a l’intelligence pour s’adapter, mais pas la sagesse pour mettre en œuvre des solutions. Bien sûr, nous pouvons toujours dire que c’est la fin du monde, qu’il faut changer de paradigme. Mais en disant cela nous ne faisons rien. La solution est-elle politique ? L’encadrement peut être politique. Mais la solution, c’est que chacun soit efficace sur sa zone d’influence personnelle, familiale, professionnelle, politique. C’est là qu’il faut agir. Car personne ne peut embrasser le monde, pas même le pape qui a deux milliards de pèlerins ! La seule façon d’agir, c’est de mettre en œuvre des solutions le plus rapidement possible, c’est-à-dire – en ce qui concerne le climat – de limiter les émissions de gaz carbonique. Si déjà nous passions du charbon au gaz, nous économiserions énormément, car il émet deux fois moins. Mais la Chine marche au charbon, l’Inde marche au charbon, l’Allemagne marche au charbon, la Pologne – qui accueille la COP 24 - marche au charbon… La montagne qui nous attend est énorme. Nous ne pourrons pas changer d’un coup. Il faut donc donner envie aux jeunes [de relever ce défi, NDLR] Vous intervenez souvent dans les écoles. Que dîtes-vous aux enfants ? Je leur dis des choses simples, d’économiser l’énergie, de baisser le chauffage au lieu d’ouvrir la fenêtre. Dans une autre catégorie, j’étais le parrain d’une promotion d’ingénieurs de l’INSA [Institut National de Sciences Appliquées, NDLR] Ces jeunes sont tous mûrs pour les questions environnementales. Ils ont ce « gêne » là. Cette génération à l’œuvre aujourd’hui ne prendra plus une décision sans réfléchir sur ses conséquences environnementales. Je suis tellement content ! Un petit mot sur votre prochaine expédition, « Polar Pod » ? Nous allons étudier l’océan austral autour de l’Antarctique. Avec ses 22.000 km de circonférence, il est le principal puit de carbone océanique de la planète, donc un acteur important du climat. Mais nous n’en connaissons pas les performances. Nous avons besoin d’y aller pour prendre des mesures in situ. Maintenant, il faut réfléchir à construire un bateau capable de naviguer sur cet océan agité. L’Etat a compris que c’était un projet important : il va donc le financer. Il me revient désormais de réunir des fonds privés pour l’expédition elle-même, qui va durer deux ans. Il y a aura huit personnes à bord. Le budget de ce grand projet ? La construction, c’est 15 millions d’euros. L’expédition, 8 millions d’euros… J’ai bon espoir que tout soit bouclé d’ici d’eux ans.
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