Il y a 60 ans, les Harkis arrivaient en Auvergne
Le 25 septembre aura lieu la journée nationale des Harkis. Le 19 mars 1962, le cessez-le-feu est instauré en Algérie et met fin à une guerre de plus de 7 ans. Mais le conflit ne s'arrête pas pour tout le monde... Au printemps, des milliers de Harkis, combattants algériens ayants appartenu à une unité supplétive de l'armée française, fuient leur pays. L'exil commence pour eux. Ils arrivent au camp de Bourg-Lastic en juillet 1962.
Le dimanche 3 juillet 2022 restera une date marquante dans l'histoire des Harkis et celle de la France. Tous les ans depuis dix ans, une cérémonie du souvenir a lieu à Bourg-Lastic.
Depuis deux ans, le Préfet Philippe Chopin, comme le sous-Préfet de Riom Gilles Giuliani avant lui est présent aux côtés des descendants des Harkis, de l'association AJIR pour les Harkis (Association Justice Information et Réparation) et de la fanfare du 92e Régiment d'Infanterie aussi.
Ce jour-là, les élèves du collège Willy Mabrut se sont également rendus à la cérémonie du souvenir en l'hommage des harkis et de leurs familles passés par le camp de Bourg-Lastic entre juin et septembre 1962. Ils ont grandement contribué à cette cérémonie.
Soixante ans après la fin de la guerre d'Algérie et leur arrivée en Auvergne, l'association AJIR pour les Harkis perpétuent la mémoire des Harkis tombés dans leur quête de liberté.
Si le 19 mars 1962, le cessez-le-feu est instauré en Algérie, l'exil commence pour les Harkis, ces Algériens enrôlés dans l'armée française pour combattre leurs compatriotes.
Petit rappel historique : le 19 avril 1962, le Conseil des Ministres rejette la proposition de rapatriement général des supplétifs. Et le 12 mai, les officiers ont l'interdiction de rapatrier leurs subordonnés : les Harkis, soldats algériens combattants pour la France.
La terreur s'installe alors en Algérie où des massacres d'anciens harkis moghaznis ou gardes des GMS se généralisent.
« Les accords d'Evian marquent le jour de leur abandon nous rappelait Taiffour Mohammed le président d'AJIR et lui-même fils de Harkis. Mais quelques officiers ont assuré la protection de certains en toute désobéissance et malgré les directives du Gouvernement. »
C'est le cas du général François Meyer et du lieutenant Gilles d'Agesquy, du 23e régiment de Saphis. « Mon père était avec le Général Meyer et le lieutenant d'Agesquy explique Taiffour Mohammed. Ils ont ramené 300 personnes, des Harkis, femmes et enfants compris. Mon père n'a fait que transiter par Bourg-Lastic. Puis il est allé à Senlis où a été dissous le 23e Régiment de Spahis. Il a quitté l'armée en 1964. »
Pour Taiffour Mohammed, il est très important de rendre hommage à ces militaires qui ont fait preuve d'humanité et de courage. « Ils n'ont pas quitté l'Algérie en laissant sur places leurs hommes ! »
Le 3 juillet à Bourg-Lastic, un hommage a été rendu au général Meyer, reconnu comme « Juste » pour avoir rapatrié puis suivi le destin de harkis et de leurs familles à partir de 1962. Le Président de la République avait pu en septembre 2021 remettre la plus haute distinction de l'État à cet officier « qui a sauvé l'honneur de la France dans une période dramatique de notre histoire ».
Le général François Meyer est décédé début juin. Une cérémonie a eu lieu aux Invalides, témoignant de sa brillante carrière et de son courage.
Un camp historique
La création du camp militaire de Bourg-Lastic sur les contreforts des Combrailles auvergnats, remonte à la fin du XIXe siècle. Il est situé sur trois communes : Bourg-Lastic, Briffons et Lastic. Sur 800 hectares, dans les sapins et les landes de genêts. Ce camp avait déjà été utilisé dans différents conflits...
Il sert de camp d'entraînement au 92e RI et autres régiments de passage. Il est ensuite utilisé comme camp de prisonniers pendant la Grande Guerre avant de devenir un camp d'internement notamment pour les ressortissants allemands. Le gouvernement de Vichy y concentrera ensuite des étrangers et notamment des juifs. À la Libération, il reprend sa fonction de camp militaire.
Après la guerre 39-45, le gouvernement de 1962 ouvre des camps d'accueil en métropole, le premier au Larzac, le second à Bourg-Lastic puis d'autres à Saint-Maurice l'Ardoise et ailleurs.
Après avoir traversé la Méditerranée à bord du « La Fayette » ou d'autres bateaux, les premières familles arrivent le 24 juin
Au printemps 1962, à la hâte, 500 puis 630 tentes sont montées à Bourg-Lastic sur 50 hectares pour accueillir les Harkis. Le camp compte déjà plus de 800 personnes dont 297 enfants de moins de quinze ans.
La provenance des rapatriés est inscrite à la craie sur les portières des wagons (Aumale, Bouira, Palestro...). Ils sont majoritairement kabyles.
Le camp de Bourg-Lastic fonctionnera du 24 juin 1962 au 22 septembre 1962. Créé dans l'urgence, adapté en permanence, géré par l'autorité militaire, il comptera plus de 5 000 « habitants » déracinés et terrorisés...
Mortalité infantile
Un camp de toile est installé à la hâte dans une clairière près du cimetière où onze enfants de harkis sont enterrés. Dans ce camp de fortune, seize enfants sont décédés après leur naissance à cause du froid, de la fatigue ou du manque d'hygiène. Certains n'avaient pas deux ans.
Les parents demandent alors l'enterrement de leurs enfants. Onze d'entre eux reposent donc à Bourg-Lastic mais le décès de cinq autres enfants est déclaré à l'Hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand perdant ainsi la trace du lieu d'inhumation...
Au début des années 2000, l'association AJIR (Association Justice Information Réparation) pour les Harkis-Auvergne découvre l'existence de ce lieu d'inhumation. Elle décide alors de tout mettre en œuvre pour le faire connaître et reconnaître.
« Ce lieu de mémoire était entretenu par un détachement du 92e RI tenait à rappeler Taiffour Mohammed le président d'AJIR. Des militaires et des civils ont pris soin de ce cimetière, sans ordres, par honneur et fidélité. La souffrance des compagnons d'armes s'est transmise oralement par l'unique volonté des commandants de camp successifs. »
L'association AJIR pour les Harkis-Auvergne inaugure une première stèle réalisée par ses adhérents le 25 septembre 2004.
En septembre 2005, une convention est signée entre l'AJIR et le 92e R.I. pour faire reconnaître le lieu. Et en mars de la même année, l'association a l'autorisation du ministère de la Défense pour accéder au site afin de mettre en place des cérémonies (en juin et septembre) et aussi entretenir les stèles.
travail de mémoire
Ce cimetière montre que ces enfants, victimes des atrocités de la guerre, comme ceux qui ont vécu de l'autre côté de la Méditerranée, ne sont pas oubliés. Ils font à jamais partie de notre histoire. De l'histoire de France.
« Il faut s'imaginer à la place de ces familles qui ont vécu le déracinement, la fuite et la perte d'un enfant parfois explique Taiffour Mohammed le président d'AJIR. C'était très dur. Il faut poursuivre ce travail de mémoire. »
Au collège de Bourg-Lastic, le professeur d'Histoire, Jean-Emmanuel Dumoulin, a réalisé une émission pour leur web radio avec quatre collégiens, Taiffour Mohammed et Mireille Medah, fille de Harkis.
Le 25 septembre, ce sera la journée nationale des Harkis. Si onze enfants sont décédés de juin à septembre 1962, 65 enfants naîtront dans le camp militaire.
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