Alors qu’il préside le Tribunal de Grande Instance de Clermont-Ferrand depuis novembre 2013, Jean-Claude Pierru quittera ses fonctions fin mars, pour ouvrir une nouvelle page de sa riche carrière judiciaire. Direction l’Afrique de l’ouest et le Burkina-Faso…
Info – Que recoupent exactement vos fonctions de président ? Jean-Claude Pierru – Le Président du Tribunal de Grande Instance a d’abord des tâches administratives importantes. C’est lui qui est chargé d’organiser le travail de l’ensemble des magistrats du siège et il doit faire en sorte que tous les services soient assurés au quotidien de manière satisfaisante. Cela l’oblige à affecter les magistrats dans telle ou telle chambre (ils sont 45 magistrats du siège à Clermont, NDLR). Par ailleurs, outre la présidence du Conseil départemental de l’accès au droit (CDAD), je suis le chef d’établissement du Palais de justice, ce qui confère des prérogatives propres comme le respect de la sécurité incendie. Il me revient aussi la charge d’évaluer les magistrats, en priorisant parfois les contentieux ou en mettant plus de moyens dans tels ou tels services. Dans ce cadre-là, il faut entretenir les relations avec tous les partenaires de la justice. Il est nécessaire d’avoir en tête cet objectif : la justice est d’abord un service public et celui-ci doit être à la hauteur des attentes de nos concitoyens. Enfin, il y a aussi les tâches juridictionnelles. J’y consacre beaucoup de temps. Il est de tradition que le président du TGI soit le juge des référés. Un autre gros contentieux, méconnu, est celui des requêtes. Cela va des requêtes en désignation d’huissiers, d’administrateurs provisoires ou de constats d’adultères. En l’absence de son titulaire, Monsieur Riboulet, je suis en plus Juge de la liberté et de la détention suppléant. Le fait de conserver des activités juridictionnelles permet de rester connecté à la réalité judiciaire et à l’évolution des contentieux.
I. – Quel regard portez-vous sur vos années passées à la présidence du TGI ?J.-C. P. – En fait, cela fait 15 ans que je suis président de TGI, j’englobe également mes expériences précédentes, à Montauban et à Mende. Il s’agit d’une fonction intéressante, exigeante et très prenante. J’ose même dire usante en termes de gestion humaine. Mais bon, elle reste enthousiasmante et prégnante. Je ne m’en plains pas, ce fut un choix personnel. Au niveau de l’organisation, vous disposez de leviers intéressants pour mettre en place des choses. Il est possible de laisser une empreinte afin d’améliorer le service public, et je dis cela en toute modestie.
I. – Quelle est la chose dont vous êtes le plus fier ? J.-C. P. – Je crois qu’il s’agit de toutes les actions relatives à l’accès au droit en ma qualité de président du CDAD. La création de la Maison de la justice et du droit (MJD) dans le quartier Saint-Jacques en fait partie. Depuis son ouverture en septembre 2017, elle a reçu 2.000 personnes. En cinq années, nous avons fait mieux connaître l’institution judiciaire en menant des actions utiles. Grâce au maire de Clermont, nous avons désormais un point d’accès au droit dans le quartier des Vergnes. Toutes ces actions se font en partenariat. Je crois beaucoup à la synergie des volontés et des moyens. Nous avons développé à ce titre un partenariat exceptionnel avec l’Ecole de droit, à travers le festival « Droit, justice et cinéma », qui a eu lieu les 13 et 14 février, ou encore avec « La clinique des droits ». Celle-ci propose une aide juridique et administrative aux personnes étrangères. L’objectif est de venir en aide à nos concitoyens, ou non, qui sont le plus en difficulté. Je retiens également les actions en direction des jeunes pour un plus grand accès à une citoyenneté épanouie. Nous recevons plus de 2.000 élèves par an au Palais de justice. Plus généralement, si l’institution judiciaire a un rôle répressif, elle joue aussi un rôle de protection tout à fait essentiel, notamment vis-à-vis des plus faibles, des victimes d’infraction ou des mineurs. Ici, j’ai trouvé un accueil favorable de tous les partenaires, que ce soit les services de la Préfecture, ceux du Conseil départemental, de la mairie de Clermont ou des professions judiciaires. Ce qui fait la caractéristique du Puy-de-Dôme, ce sont les relations simples que l’on peut nouer entre les parties prenantes. Il y a une communauté de vue et d’esprit intéressante.
I. – Vous quittez vos fonctions fin mars pour une autre mission. Que peut-on en dire ?J.-C. P. – Je pars en Afrique de l’ouest, au Burkina-Faso, où je vais être nommé conseiller technique du ministre de la Justice. Il y a eu un appel à candidatures du ministère des Affaires étrangères français. Le profil de poste m’intéressait. Après plusieurs entretiens, ma candidature a été retenue. Il s’agit d’un contrat de deux ans. J’ai fait une partie de ma carrière outre-mer, en Nouvelle-Calédonie et en Guyane. Je suis originaire d’Afrique du Nord puisque je suis né au Maroc. A ce stade de ma carrière (il a 64 ans NDLR), si je peux apporter une petite contribution, aider un pays ami et ce, en toute modestie, je trouve cela intéressant. J’espère pouvoir faire partager mon expérience à des collègues. Lorsque l’on part en détachement, il faut bien se garder de donner des leçons car nous-mêmes ne sommes pas exempts de tous reproches (il sourit…). En tout cas, cette mission a du sens pour moi. Quant à mon successeur, je pense que le Conseil supérieur de la magistrature statuera dans les prochaines semaines. Personnellement, je crois beaucoup aux cycles. J’ai terminé le mien à Clermont-Ferrand en essayant d’apporter ce que je pouvais. C’est bien de passer le relais à une autre personne qui arrivera avec un regard neuf et amènera d’autres idées.
Fusion TGI/Tribunaux d’instance : ça grince…
La réforme relative à la fusion des tribunaux de grande instance et tribunaux d’instance ne fait visiblement pas que des heureux. Au mois de janvier, le bureau national de l’UNSA Services Judiciaires a regretté que la suppression des TI et des conseils de prud‘hommes ait été adoptée en pleine nuit par l’Assemblée Nationale par seulement « 15 voix, 7 contre et 1 abstention. » Pour le syndicat, cette réforme devrait entraîner, à terme, « la suppression des 304 tribunaux d’instance, vidés en grande partie de leur substance. » Il dénonce également une logique « purement comptable » du Gouvernement, prise « au détriment des intérêts du citoyen et du service public de la justice », et in fine, « une réforme de la carte judiciaire déguisée ». Localement, le syndicat s’inquiète d’une possible dégradation des conditions de travail : « n’oublions pas que si les cours et tribunaux fonctionnent encore correctement, cela est dû en grande partie à la conscience professionnelle et au grand sens du service public des fonctionnaires des greffes qui n’hésitent pas à effectuer des heures supplémentaires parfois écrêtées et donc ni payées et ni récupérées, pour maintenir les services en bon état de marche. »
Interrogé sur le sujet, Jean-Claude Pierru s’est dit partisan de cette fusion. « Je pense qu’il y a des éléments très positifs et les choses seront plus lisibles pour nos concitoyens. Une institution, quelle qu’elle soit, doit évoluer », estime le magistrat, avant de citer en exemple la mise en place des pôles sociaux depuis le mois de janvier.
Avant son départ, le président du TGI installera un groupe de travail courant mars afin d’entamer « une réflexion commune sur la meilleure façon de décliner cette réforme sur le plan local. »
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