« Participer à des JO au Japon, c'est le Graal »
Entraîneur, technicien et formateur au Dôme Rhône Judo, l'Aubièrois Nicolas Sigaud a entraîné puis accompagné le judoka béninois Celtus Dossou-Yovo aux Jeux Olympiques de Tokyo dans la catégorie des moins de 90 kg. Une expérience enrichissante et exceptionnelle pour les deux hommes.
Comment vous êtes-vous retrouvé aux Jeux Olympiques de Tokyo à entraîner Celtus Dossou-Yovo, un judoka béninois ?
C'est une aventure qui va au-delà de ce que j'espérais, une aventure à la fois sportive et humaine. C'est exceptionnel et inattendu que Celtus obtienne une deuxième sélection pour les Jeux Olympiques après ceux de Rio en 2016. Il était dans l'attente d'une sélection à 34 ans, il a fait beaucoup d'efforts avec un parcours atypique pour en arriver là. Il s'entraînait à Budapest avec d'autres athlètes dans le centre financé par la Fédération internationale mais après les JO de Rio, ce centre d'entraînement a fermé. Il aurait pu arrêter mais la Fédération du Bénin m'a contacté pour voir comment l'aider à continuer la pratique du judo en compétition. Celtus et ses dirigeants m'ont accordé leur confiance et il a pu s'entraîner en France grâce à mon réseau. C'est comme ça que je l'ai accompagné sur le circuit international, aux championnats du monde au Japon en 2019, sur les différents tournois et enfin à Tokyo cette année.
Cela ne doit pas être évident de quitter son pays pour partir s'entraîner ?
À Paris, Celtus s'entraînait à l'Institut national du judo et dans les clubs parisiens. Il ne pouvait pas travailler mais il avait une bourse olympique mais ce n'était pas suffisant pour se loger sur Paris. Heureusement, le système D et l'aide entre sportifs ont bien marché. Il s'entraînait tous les jours et parfois c'est dur car il faut accepter de se faire cabosser à l'entraînement. Ces Jeux c'est vraiment une victoire pour lui.
Les Jeux Olympiques avaient lieu dans la nation de ce sport, cela devait être impressionnant ?
Participer à des Jeux Olympiques qui ont lieu au Japon, c'est une victoire pour lui comme pour moi. Avoir la confiance de Celtus pour l'emmener sur évènement planétaire, en plus au Japon, le pays du Judo, c'est un mélange d'émotions. Ce sont des souvenirs d'enfance, un objectif que tout judoka se fixe quand il commence. C'est le Graal, c'est comme jouer une Coupe du monde de rugby en Nouvelle-Zélande. En plus, un entraîneur auvergnat qui entraîne et accompagne un athlète africain, c'est historique. Il y a eu des moments très forts comme l'arrivée au village olympique. Le Japon, c'est La Mecque du judo, les judokas nippons étaient préparés comme des lames et nous avons senti, même sans spectateurs, une bienveillance et une organisation aux petits soins.
« Un entraîneur
auvergnat qui entraîne et accompagne
un athlète africain, c'est
historique »
historique »
Lors de la cérémonie d'ouverture, vous avez défilé avec le Bénin ?
Oui et c'était très fort. Il y avait huit athlètes béninois et nous étions une vingtaine avec les membres de la Fédération béninoise. J'étais aussi en costume, comme eux. C'est difficile à décrire. Les béninois m'ont parfaitement intégré. Pendant douze jours, je faisais vraiment partie de leur fédération. J'ai gardé le costume...
Et sur le plan sportif, comment cela s'est-il passé ?
Celtus a affronté un judoka russe, Mikhail Igolnikov, qui était classé numéro 6 mondial et double champion d'Europe en 2018 et 2020. Il a fait 5e aux Jeux de Tokyo ensuite. Celtus était décomplexé, il y avait une différence de niveau mais il a joué son va-tout. Je l'ai félicité car il a été à la hauteur de l'évènement. Il a fait trois minutes de combat, il a donné son maximum et n'a rien à se reprocher.
Quels moments garderez-vous dans votre relation ?
Celtus est quelqu'un de très pro, de très carré. Il m'a vraiment fait plaisir. Même quand nous avons eu un petit souci administratif qui s'est réglé après, il ne s'est jamais affolé, il n'était pas stressé mais toujours confiant. Avant le combat, en salle d'échauffement, on s'est serré tous les deux. Je ne m'y attendais pas car il est assez réservé, respectueux, il me vouvoie, il m'appelle coach. Il a eu beaucoup de gratitude pour mon investissement. Cela vaut tous les salaires du monde.
Quels sont les rapports de Celtus avec votre club de judo basé à Aubière ?
Celtus a souhaité prendre sa licence à Dôme Rhône Judo, notre club situé à Aubière qui regroupe des judokas du Puy-de-Dôme mais aussi de la région de Lyon. Lors des vacances scolaires, il faisait les stages de préparation avec nous. Les jeunes du club ont suivi son match. Ici à Aubière, les athlètes le connaissent bien et l'apprécient fortement pour ses valeurs. Je suis aussi fonctionnaire territorial et dans le cadre du programme « Génération 2024 » les enfants des écoles Vercingétorix et Beaudonnat ont travaillé sur les anneaux olympiques, la géographie des continents. On m'a demandé de faire un petit film pour le montrer aux enfants et nous voulons monter un projet avec d'autres athlètes auvergnats en vue des JO de Paris 2024 et du label « Terres de Jeux » obtenu par la ville d'Aubière.
« à Aubière, les athlètes connaissent bien Celtus et l'apprécient
fortement pour ses valeurs. »
Et maintenant, que va faire Celtus ?
Son retour a été fêté dans son pays. Il y aura une réception à la mairie d'Aubière quand il reviendra. Celtus a envie de s'investir dans son pays et ce sport. Il aimerait poursuivre une formation pour prodiguer des conseils dans le cadre de sa fédération. Dans un cadre plus associatif, on va essayer de fournir des kimonos et des tatamis pour le Bénin et mettre en place un échange en France et au Bénin pour former des éducateurs. La Fédération béninoise m'a demandé de poursuivre mon travail afin de former des enseignants. On doit se rencontrer bientôt pour en discuter.
On sent que vous avez envie de continuer l'aventure...
Mon histoire, ce sont des rencontres. C'est l'histoire de ma vie. J'ai été atteint par une leucémie quand j'avais 22 ans et cela a été dur à accepter. J'étais au fond du trou... Grâce à Bertrand Rioux, qui était joueur à l'ASM, j'ai eu la chance de rencontrer Jean-Marie Soubira, qui lui jouait à Brive et qui avait aussi un cancer (Il est décédé en 2015 N.D.L.R.). J'ai rencontré une force de la nature, je me suis calqué sur son histoire pour m'en sortir. Il a rejoué au rugby au haut niveau après son cancer et moi j'ai refait du judo, cela m'a remis dans la bonne direction. Si on m'avait dit à ce moment-là que j'irai aux Jeux Olympiques pour coacher un athlète béninois... Ces Jeux avec Celtus, c'est un aboutissement de tout ça. Comme quoi, le destin peut basculer du bon côté...
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